Marc Chatelle et la mémoire collective.

Au cours des ans, ma perception de l’art et du rôle de l’artiste a évidemment évolué.

Jeune artiste, à peine sorti de l’école, je voyais l’art comme, avant tout, un moyen de briser les conventions, de déranger et de me démarquer des autres gens.

Plus tard, j’ai compris qu’on pouvait utiliser l’art de façon à faire réfléchir sans choquer et changer les perceptions sans être iconoclaste.

Il y a maintenant plusieurs années, j’ai finalement compris que tous n’avait pas besoin de prendre l’art comme un moyen de changer leur vie ou le monde et que, pour bien des amateurs d’art, la beauté et les émotions étaient beaucoup plus importants que les préoccupations intellectuelles. 

J’ai appris que l’art n’est pas une réalité unidimensionnelle mais bien une entité aux multiples facettes et qu’au bout du compte, chacun avait ses raisons d’aimer l’art et le comprenait à des niveaux variés tout aussi défendables l’un que l’autre.

Marc Chatelle est l’un de ces artistes qui parviennent à ouvrir le tiroir de notre mémoire collective et à réveiller les souvenirs qu’on croyait endormis à jamais.

Peintre sans prétentions de grandeurs, largement autodidacte Marc Chatelle est né en 1935 à Cuels, près de Saint-Tropez, en France. Il débarque à Montréal à  vingt  ans.

Journaliste de profession, il travaille dans les principaux hebdomadaires du Québec et en dirige plusieurs : la Patrie, le Petit Journal, Point de Mire, Le Samedi, etc. En 1980, il se retrouve à la direction d’Échos Vedettes, où il travaille pendant dix-sept ans.

À soixante-deux ans, Marc Chatelle, jeune retraité,  se fait offrir une boîte de couleurs. C’est le début d’une nouvelle carrière!

Profondément ancrée dans la petite histoire du Québec, de ses institutions et de ses célébrités – que l’artiste a largement côtoyées – l’œuvre de Marc Chatelle ramène le spectateur à une époque révolue mais tellement vivante dans la mémoire de ceux et celles qui l’ont vécue.

Les réactions qu’élicite la peinture de Chatelle sont donc, comme je l’écrivais plus haut, purement du domaine de l’émotion et je défie quiconque a vécu le Québec des années 1950-60-70 de rester de marbre devant une scène  – un cliché instantané – devant une épicerie où les affiches, annonces et autre reliques de notre passé nous projettent vers une époque que l’on aime croire pas si lointaine.

Tout aussi saisissante par les souvenirs qu’elle provoque, sa « Crèche des Pays d’en-haut » mélange personnages de la vénérable émission de télévision « Les belles histoires des pays d’en-haut » à d’autres icones québécoises telles Maurice Richard, Félix Leclerc ou Marguerite d’Youville ainsi que d’autres symboles représentatifs de notre culture et de notre histoire.   Il est d’ailleurs à noter que ce tableau se retrouve maintenant au Musée de l’Oratoire Saint-Joseph où il trône au sein de la traditionnelle exposition de crèches.

L’œuvre de Marc Chatelle ne fera jamais partie du patrimoine artistique local ou international –  ce n’est pas sa mission.

Chatelle est plutôt un documentariste de l’histoire – grande et petite – et un conservateur de la mémoire collective du Québec.

Pour moi, c’est plus que suffisant pour en faire un artiste important et justifie amplement de lui réserver une place de choix au sein des galeries d’art et des collections de prestige ici et ailleurs.

S.M.Pearson