LES AUTOMATISTES ET REFUS GLOBAL

février 28, 2019 on Nouvelles by steve

« Les Automatistes étaient des paysagistes dans le grand sens du mot, véhiculant les rapports de l’homme avec son milieu géographique, avec sa lumière. » – Marcelle Ferron

Notre dernier article vous parlait de l’art canadien mais nous aimerions aujourd’hui nous attarder sur un mouvement essentiel dans l’art au pays et particulièrement au Québec. 

Fondé au début des années 1940 par Paul-Émile Borduas, les Automatistes est un groupe d’artistes du Québec, réunis autour de Borduas qui était alors professeur à l’École du Meuble de Montréal.

Le mouvement regroupe les peintres Marcel Barbeau, Jean-Paul Riopelle, Pierre Gauvreau, Fernand Leduc, Jean-Paul Mousseau, et Marcelle Ferron ; les écrivains Claude Gauvreau et Thérèse Renaud ; les danseuses et chorégraphes Françoise Sullivan, Françoise Riopelle et Jeanne Renaud ; la designer Madeleine Arbour ; l’actrice Muriel Guilbault et le photographe Maurice Perron, de même que le psychiatre psychanalyste Bruno Cormier.

Totalement au diapason de l’art de l’époque, le mouvement fonde ses principes sur les écrits d’André Breton, le pape du surréalisme, et des réflexions tant philosophiques qu’esthétiques auxquelles sont arrivés les membres des différentes factions surréalistes.  Par contre, l’approche préconisées par les Automatiste en est une beaucoup plus intuitives que celle des surréaliste qui basent souvent le travail artistique sur une réfection presque anecdotique des sujets par opposition au travail plastique.  En fait, le travail initial des Automatistes pourrait, plastiquement parlant, s’apparenter à l’expressionisme abstrait à l’Américaine même s’il n’existe que peu ou pas de liens entre les deux écoles de pensée.

On reconnaît généralement que l’exposition de quarante-cinq gouaches de Paul-Émile Borduas, au mois d’avril 1942, au Foyer de l’Ermitage, à Montréal, est le point de départ du mouvement. Une jeunesse enthousiaste se joint alors à ce professeur, adoptant ses idées et son projet.

C’est le journaliste et communicateur, Tancrède Marsil Jr., qui, le premier, nomme le groupe « Les Automatistes » dans sa critique de leur seconde exposition à Montréal (15 février au 1er mars 1947). Cet article est publié dans Le Quartier latin, le journal étudiant de l’Université de Montréal. Ce nom lui a été inspiré par le discours esthétique des exposants eux-mêmes au cours du vernissage, notamment celui de son chef de file, Paul-Émile Borduas, et celui du poète Claude Gauvreau, qui prônaient le recours une écriture automatique inspirée des pratiques surréalistes. Le même Gauvreau signale d’ailleurs que cette appellation journalistique a été adoptée par le groupe : « Le vocable employé par Marcil eut beaucoup de succès et nous nous surprîmes bientôt nous-mêmes à le brandir comme un drapeau ».

Tout d’abord strictement un mouvement en arts visuels, différents créateurs d’autres milieux – danse, théâtre, littérature – viendront bientôt se joindre au mouvement qui devient rapidement un phénomène politique et social.

C’est ainsi qu’apparait le 9 aout 1948, le document qui représentera le mouvement et qui, depuis maintenant plus de soixante-dix ans, est généralement considéré comme l’étincelle qui déclenchera la pensée qui mènera à la Révolution Tranquille au Québec.

Paru à une époque où le clergé, soutenu par le gouvernement de Maurice Duplessis, tient une hégémonie sociale et culturelle sur le Québec, Refus Global vient remettre en question les fondements même de la société québécoise fondamentalement catholique, familiale et rurale.

Paul-Émile Borduas, l’auteur du manifeste,  y remet en question les valeurs traditionnelles de la société québécoise comme la foi catholique et l’attachement aux valeurs ancestrales, rejette son immobilisme et cherche à établir une nouvelle idéologie d’ouverture sur la pensée universelle. Il considère alors que le surréalisme ne peut coexister avec le dogme religieux et désire plus que tout soustraire les contraintes morales afin d’épanouir sa liberté individuelle.

Comme l’écrit Borduas, « Un petit peuple serré de près aux soutanes restées les seules dépositaires de la foi, du savoir, de la vérité et de la richesse nationale. Tenu à l’écart de l’évolution universelle de la pensée pleine de risques et de dangers, éduqué sans mauvaise volonté, mais sans contrôle, dans le faux jugement des grands faits de l’histoire quand l’ignorance complète est impraticable. »

Tiré à peine à quatre-cent exemplaires et contenant, en plus des textes de Borduas, des illustrations d’autre participants au Mouvement, Refus Global est contresigné par quinze artistes dont huit hommes et sept femmes en faisant un document inhabituel pour l’époque pour sa parité presque parfaite.

Considéré comme anarchiste et antisocial, le texte de Borduas frappe de plein fouet l’autorité québécoise est condamné par les instances tant religieuses que politiques. Refus global scandalise les autorités et la presse qui condamnent et censurent une grande partie du manifeste. Borduas perd son emploi d’enseignant à l’École du Meuble, qu’il occupait depuis 1937, et doit s’exiler aux États-Unis puis en Europe.

Malgré ce tollé de la part des autorités, Refus Global aura un impact contemporain assez limité, les médias de l’époque choisissant de ne pas le diffuser de façon exhaustive.

Il faudra attendre les années soixante et la Révolution Tranquille pour que le Québec acquiesce l’importance du document.  On associera bientôt Refus global au parti Québécois,  socio-démocrate et néo-nationaliste. En effet, dans les années 1960, période où le Québec s’emploie à faire valoir son identité et son autonomie politique, Borduas sera perçu comme un héros sauvant l’intégrité culturelle du peuple canadien français.

Depuis, Refus global est devenu une référence régulièrement citée pour signaler que la « Grande Noirceur » duplessiste n’a pas étouffé toute vie intellectuelle au Québec, étant ainsi présenté comme un signe précurseur de la Révolution tranquille et du Modèle québécois.

S.M.Pearson

Le Balcon d’art

February 2019