On en a tous entendu parler le weekend dernier (Décembre 2019). L’artiste de réputation internationale, Maurizio Cattelan a présenté sa plus récente œuvre à la foire artistique Art Basel de Miami.
L’œuvre en question : Comedian, une banane collée au mur par un morceau de ruban adhésif (duct tape) s’est vendu pour la modique somme de 120 000.00$. De plus, l’artiste en a remis en « créant » deux autres copies de l’œuvre qui se sont vendues respectivement 120 000.00$ et 150 000.00$!
Maurizio Cattelan est bien connu pour quelques-unes de ses œuvres précédentes incluant America, consistant en une toilette en or massif ou encore La Nona Ora, une sculpture représentant un pape frappé par une météorite. Le sens de la satire évident de Cattelan lui confère une réputation de blagueur dans le monde de l’art. Il est aussi l’un des créateurs du Toilet Paper qui se veut une réflexion sur l’absurde.
Toutefois, cette approche devrait être examinée dans l’optique de ce que représente l’art dans notre monde post-moderne.
La vision de l’art privilégiée par cet artiste n’est pas si loin de celle qui guidait les membres du mouvement Dada il y a un siècle dont Marcel Duchamp avec ses ready-made est l’un des exemples les plus connus.
À son apogée de 1916 à 1922, le mouvement se plaisait à ridiculiser ce qui était perçu comme l’absurdité du monde et l’influence du même mouvement s’est retrouvé plus tard dans le surréalisme, le pop art et, par extension, dans le punk rock. C’est un courant de pensée qui est donc, d’une certaine façon, à la base même de tous les courants nihilistes tant dans l’art que dans la littérature, la philosophie que dans la musique. Pensons Warhol, André Breton, John Cage, the Residents – la liste est longue…
C’est aussi le point de départ d’une façon différente d’interpréter l’art et sa signification dans une société.
L’art contemporain tient avant tout à l’intellect. Le « produit fini » se retrouve souvent comme le véhicule qui transporte le concept et le processus de création de l’artiste.
Ce « produit fini » devient presque une arrière-pensée et est souvent éminemment « jetable » une fois l’œuvre présentée. Qu’on pense aux installations éphémères de Christo et Jeanne-Claude ou à la robe de viande de Jana Sterbak.
C’est dans cette optique qu’il faut regarder Comedian, la banane de Maurizio Cattelan.
Il n’a, évidemment, pas vendu trois bananes et du ruban adhésif pour 390 000.00$. Il a vendu une idée et cette idée est….la banane… L’art pour l’art. Pas de matériel, seulement une idée.
Si on se rapporte aux siècles passés, les artistes avaient besoin de mécènes puisque l’achat d’œuvres d’art était une activité réservée à la noblesse et la bourgeoisie et n’aurait pas suffi à assurer un revenu décent et acceptable aux artistes. Parmi les grands du passé Léonard De Vinci, Michel-Ange Buonarroti ou Raphael n’aurait jamais pu laisser l’héritage artistique qui leur a survécu sans les mécènes qui leur ont permis de créer à leur guise tout au long de leur carrière.
Évidemment, dans notre monde moderne, le concept même de mécénat a quelque peu migré vers des concepts tenant de l’importance des arts dans nos sociétés ce qui mené à des programmes de subvention gouvernementales qui viennent souvent prêter main-forte à des artistes qui, en fin de compte, n’ont rien à « vendre » si ce n’est leur pensée; leur âme…
C’est d’autant plus vrai dans certaines sociétés démographiquement limitées – tel la nôtre au Québec – où même un artiste qui obtient du succès a souvent du mal à joindre les deux bouts. Mais, c’est un sujet pour une autre chronique.
Vu de cette façon, les « collectionneurs » qui ont acheté Comedian ne font que perpétuer une grande tradition de mécénat finançant le talent de Cattelan et sa pensée iconoclaste mettant de côté le concept même de possession d’une œuvre physique en faveur d’une certaine fierté d’avoir contribué à un événement artistique.
Si on y pense bien, on voit un film et, une fois visionné, il ne nous reste rien. On s’abonne à Spotify et il ne s’agit que d’une impression de l’inspiration des musiciens. On va voir un spectacle et on en ressort grandi sans toutefois posséder la moindre preuve tangible de notre expérience.
Le principe même de l’art comme une commodité devrait-il être lié à la possession de biens physiques ou, plus justement, au plaisir et à la satisfaction d’avoir participé à un processus créatif?
C’est la question que nous pose l’art contemporain et, dans ce cas-ci, la banane de Cattelan et c’est la question que nous vous posons aujourd’hui.
S.M.Pearson