Pour les amateurs de peinture, il est parfois difficile de comprendre ce que représente l’art dans notre monde moderne. En effet, suite à l’explosion de l’art non-figuratif ou semi-figuratif apparu au cours des premières décennies du siècle dernier, l’art a pris des tangentes qui l’ont souvent éloignée de la peinture dite « traditionnelle » pour l’emmener vers des avenues qui, parfois un siècle plus tard, arrivent encore à interloquer le spectateur moins averti…
Il faut dire que, même en 1907, au moment où Pablo Picasso (1881-1973) dévoile « les demoiselles d’Avignon », la peinture avait déjà empruntée des avenues inattendues. On se rappellera des scandales ayant salué les premiers tableaux impressionnistes lors du « Salon des Refusés », en mai 1863. Dès lors, la façon de voir l’art changeait et abandonnait doucement la servitude au réalisme qu’elle avait jusque-là respectée et recherchée depuis des temps immémoriaux.
Tout à coup, la vision de l’artiste prenait la place principale et son imagination devenait souvent sa source d’inspiration.
Il est donc peu étonnant que les artistes arrivés suite à cette révolution artistique se soient mis à prendre des risques de plus en plus grands quant à leur interprétation des sujets qu’ils choisissaient de coucher sur la toile.
Par exemple, l’approche de Paul Cézanne (1839-1906) évolue vers une vision presque géométrique de la réalité, celle de Camille Pissarro (1830-1903) ou de George Seurat (1854-1891) franchement centrée sur la couleur et la matière ou encore d’un Paul Gauguin (1848-1903) qui laisse de côté les préoccupations réalistes pour embrasser une peinture presque expressionniste.
C’est d’ailleurs la clé même d’une meilleure compréhension de ce que l’art contemporain exprime.
L’évolution inexorable de l’art vers une expression quasi purement intellectuelle commence véritablement vers la fin des années 1910 et l’apparition du mouvement Dada qui mélangent les formes d’art sans distinction claire entre les disciplines préférant voir la création comme un tout et la vie comme l’art.
En 1917, Marcel Duchamp (1887-1968) abandonne l’approche picturale formelle qu’il favorisait précédemment et « invente » le « ready-made », accordant une valeur artistique à des objets trouvés en leur adjoignant une approche intellectuelle et philosophique souvent aux antipodes de l’utilisation originale à laquelle ces objets étaient destinés.
Un urinoir devient une fontaine, une roue de bicyclette est posée sur un tabouret et un porte-bouteilles devient hérisson. Tout à coup, l’art devient TOUT et TOUT est potentiellement de l’art – si l’artiste le choisit.
Cette philosophie se transportera bientôt vers toutes les formes d’expression artistiques de la peinture à la sculpture en passant par le cinéma, la musique et la littérature menant bientôt au surréalisme puis, quelques décennies plus tard, au pop art et aux autres grands mouvements de l’art du XXe siècle.
Cette approche plus intellectuelle qu’esthétique sera à la base même des grands courants de la peinture du siècle dernier. L’expressionisme abstrait – pensons Jackson Pollock (1912-1956) – où l’esthétisme prend peu de place vis-à-vis l’expression pure, le néo-Dada de la fin des années 1950, l’art conceptuel, l’Op-Art des années 1960-70; la liste des mouvements est longue et mériterait son propre article… La préoccupation des artistes pour le « beau » devient franchement secondaire à la recherche et à l’expression de concepts intellectuels et d’une approche ou le fond prend souvent la place de la forme.
Au cours du dernier tiers du siècle dernier, une forme d’art visuel totalement détachée de la peinture vient couronner près de cent ans de recherche et d’évolution artistique. En effet, influencés par les grands mouvements artistiques, culturels, musicaux, théâtraux et littéraires, une nouvelle génération d’artistes fait fi de la permanence de l’art et l’on voit apparaître une forme d’art éphémère, l’installation.
Comme le dit Wikipédia : « Une installation artistique est une œuvre d’art visuel en trois dimensions, souvent créée pour un lieu spécifique (in situ) et conçue pour modifier la perception de l’espace. Le terme « installation » apparu dans les années 1970 s’applique généralement à des œuvres crées pour des espaces intérieurs (galerie, musée) ».
Bien entendu, cette approche existait avant les années 1970 – Duchamp avait créé « Étant donnés » entre 1946 et 1966 – mais, suite à un certain aboutissement dans la simplification et la minimalisation de la peinture, des artistes se mettent bientôt à emprunter cette nouvelle avenue où les restrictions physiques de la toile deviennent inexistantes et permet une expression de concepts totalement inapplicable à l’art pictural.
La taille même des œuvres éphémères ainsi créées dépassent souvent tout ce qui avait semblé possible dans le passé – qu’on pense à Christo (1935) et Jeanne Claude (1935-2009) qui emballent des sections complètes de villes, Dennis Oppenheim (1938-2011) qui retourne l’architecture sur elle-même ou à Spencer Tunick (1967) avec ses assemblages massifs de corps humains nus.
Évidemment, l’art vu de cet angle s’expose bien mal sur nos murs et tient plutôt d’une philosophie qui prétend que la mission de l’artiste en est une de révolution des idées et que l’art ne sert pas à la décoration mais est une composante intégrale de la pensée humaine et que l’esthétique ne peut entrer en considération au moment de la création.
Il s’agit, bien sûr, d’une opinion et, évidemment, la recherche de la beauté et de l’esthétisme a toujours sa place dans la vie de la très vaste majorité des gens. Par contre, nous espérons que ce court survol des origines de l’art contemporain permettra aux moins initiés de mieux comprendre et, pourquoi pas, de s’intéresser à l’art qui, avouons-le, est une entité vivante qui n’a cessé d’évoluer depuis le moment ou l’homme a marqué son passage dans les grottes.